Insomnie

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« Petits papiers » du Collectif

INSOMNIE

J’ai renversé l’angoisse du noir,

Le jour ne s’y opposait pas,

Les lumières ne viennent pas d’en haut.

 

Tu restes le témoin hors du temps

Qui retourne à sa cage d’os

Et garde ma peine en terre,

 

Tandis que dégringole

Dans mon cœur superposé,

La mémoire des sommets franchis.

 

Je marche le long d’une carrière sombre

Saisissant les reflets d’argent

De ses ardoises acérées.

 

De si belles escapades !

Lianes enveloppantes du souvenir

Où s’accrochent mes rêves,

 

Mes rêves comme une liqueur

Dont on garde le sourire

Et l’éphémère douceur.

 

Sous les rameaux des acacias

Le temps nous effleure

Et nos larmes sont absorbées.

 

 

Variation sur la Mélancolie

Collage mélancolie

 

Le fil conducteur est la perte, loin du mouvement, plutôt dans l’errance des pas, dans un temps sidéral mesuré par rapport aux étoiles.

Ma seule étoile est morte transformée en bourdon qui se lamente par sublimation poétique.

Et de nouveau,

Les voilà, ces fantômes seuls dans la montagne, éblouis par la beauté du glacier

Les voilà, ces beaux endormis dans les romans noirs et les draps blancs

Les voilà, les songes infinis qui traînent des cadavres aux portes de la nuit

Quoi, toujours toi, la Mélancolie ?

Entre mon coeur et la réalité, tu creuses impunément une tombe de regrets,

Chaque jour qui succède aux nuits assommées me verra donc livrer bataille contre tes charmes avides.

Lourdeur de mon coeur

Que de débris charriés par des larmes inutiles !

Le monde va toujours

Et ce même coeur se vide de toute musique,

pris dans le ressac des angoisses primitives,

par ta simple apparition.

Quoi, toujours toi, la Mélancolie ?

Toute parole perd son sens

Tout acte perd sa force

Tout être perd sa réalité

Durablement

Le non-sens, le non-être s’installent

Et je ne suis plus qu’un vieux chiffon mal essoré

Que l’on aurait oublié dans un coin d’une pièce froide.

Car mon désespoir ne se partage pas,

Tantôt il me brûle, tantôt il me glace,

Mais toujours me fait ressentir l’inanité de ma présence au monde.

Tout sonne creux et mes yeux demeurent ouverts sur l’effroi,

Car pour eux, il n’y a pas de fenêtre.

( Texte qui fait écho à ceux de l’atelier sur la Mélancolie- Nîmes)

Fred Léal, une lecture salutaire

C’est un « Je » que l’on suit de Bordeaux ( Délaissé  2010 ) jusqu’en haut du Mont-Perdu   ( Un trou sous la brèche 2006/ Le Mont Perclus de ma solitude 2015 ) sans oublier Cayenne dans la Légion ( Asparagus 2013), sans pouvoir décrocher de cette voix si particulière qui nous entraîne sur les chemins escarpés de la rencontre avec nos congénères et d’un humour lucide qui n’épargne personne, surtout pas le narrateur, à la fois anti-héros et vrai mélancolique.

Entre jeu et défiance, le rapport au langage est une question posée dans chaque roman de Leal ; une écriture polymorphe dans laquelle s’invitent libertés typographiques et littéraires. Plusieurs niveaux de conscience entre ces lignes abruptes, le fil conducteur de la fiction mais aussi des mots sortis du poste ou de l’espace public, mais aussi des bribes de conversation, mais aussi le flux des pensées ( aussi tordues que les nôtres) du narrateur, qui contaminent la page et donnent une idée assez juste du bordel à l’oeuvre dans nos esprits vivants.

Fred Léal est hors-genre : ces récits sont tour à tour réalistes et épiques, entre autobiographie fantasmatique et fiction burlesque, avec toujours, pour nous, le même plaisir de retrouver les décalages poétiques de l’auteur et les délires revigorants de ses personnages.

(Fred Léal a publié aux éditions POL et aux éditions de l’Attente)

EXPOSITION de Nobuyoshi ARAKI

Du 13 avril au 5 septembre 2016 au Musée Guimet

«  La photographie, c’est la vie. Et la vie est un voyage sentimental. » Araki

Ses Flowers ouvrent l’exposition et le pouvoir érotique de ces images-fleurs est frappant. En elles s’incarne évidemment toute l’éphémère beauté, en elles sont célébrés les défunts à qui l’on offre leur parfum envoûtant. Un topos artistique revisité de façon irrésistible et saisissante.

On parcourt ensuite Le voyage sentimental ( 1971) et Le voyage d’hiver ( 1990), présentés avant le travail photographique lié au «  Kimbuku », ce jeu érotique de sexe et de cordes qui nourrit l’oeuvre d’Araki et ce « Théâtre de l’Amour » frénétiquement composé de scènes prises par ce petit bonhomme qui marche très droit et photographie comme il respire.

Les images entêtantes de l’être aimé perdu, sa femme, occupent ses deux voyages.

Le premier capte le corps anguleux couché sur le tatami, cette poitrine menue tendue vers la nature, la simplicité d’une pose dans un jean bleu foncé, les boucles brunes et sombres de Yoko, ce visage flou de l’orgasme, la jupe vichy couchée dans la barque, une bouche qui ne sourit jamais, le regard profond, une tête légèrement inclinée vers le bas même sur la traditionnelle photo des mariés.

Le second rend palpable le déclin de l’être malade, sa révérence : ne reste que le chat dans l’appartement, au pied des couronnes mortuaires, celui qui réchauffait la couche de la malade, celui qui reposa près de sa tête embaumée et fleurie et qui attend maintenant devant la fenêtre, face au décor hivernal. Ce chat qui, sur une autre photo, cabriolera dans la neige. Sur la terrasse abandonnée, les chaises sont désormais repliées, le gris du ciel s’installe et le chat constate.

Araki est partout dans ces mises en scène de la perte : dans le personnage du chat bien sûr, dans la mélancolie du portrait de Yoko placé à côté des cendres, dans cette chambre d’hôpital et dans la main serrée pour l’éternité. Mais aussi, dans ces échappées merveilleuses que sont les fragments de cieux tourmentés qui nous délivrent un dernier message, celui d’une beauté du monde offerte à tous ceux qui sont réceptifs.

 

« Saison de nuits/ Run River « Joan Didion

 

«  Lily entendit le coup de feu à une heure moins dix-sept minute. »

Tel un personnage magnifiquement romanesque, la femme d’ Everett Mc Clellan, Lily Knight fit couler dans son décolleté une rasade du parfum Joy, Le Plus Cher du Monde.

Ainsi entrons-nous in medias res, au choix, dans un roman policier, un drame passionnel ou une tragédie, à moins que « Run River » de Joan Didion relève des trois genres.

Trois actes ( août 1959/ 1938-1959/ août 1959) pour dérouler le destin tragique de deux dynasties de pionniers californiens, unies par les liens du mariage, et pour qui, comme le souligne l’épigraphe : «  « … le véritable El Dorado se trouve toujours plus avant. » (1837 New Guide to the West). Une histoire de couple qui dégénère «  en famille » durant vingt ans jusqu’à cet acte aussi dépourvu de sens qu’un grand amour qui s’érode et qui meurt.

Un roman porté par de sombres et splendides personnages qui s’enferrent dans des liens d’amour malheureux, deux personnages féminins surtout : Lily qui reste toujours à distance et d’une cruauté raffinée, Martha, celle qui ne se résout jamais à jouer la comédie des bonnes manières, celle qui ne cherche pas le bon ton pour dire sa douleur. Qu’ils soient père ou mère, amant ou époux, frère, sœur ou encore belle – sœur, chacun avance son pion en faisant tomber un autre.

Le fil conducteur semble être cette rivière qui gronde au pied de la demeure des Mc Clellan, et son ponton qui sert de scène finale lorsque le vent s’est levé et que la fureur de l’eau a tout emporté.

Le premier roman de Joan Didion, paru en 1963 et traduit en 2014 en français, est donc plutôt désespéré mais curieusement on savoure ce calice jusqu’à la lie.

J’ai cherché … j’ai trouvé

J’ai cherché la vie fantômatique des images, comme on s’endormirait une nuit dans la forêt. J’ai trouvé une méditation sur le cinéma et la photographie au Palais de Tokyo. J’ai retrouvé Mnémosyne. J’ai entendu des histoires de fantômes pour grandes personnes, j’ai marché sur des projections d’images choisies par Didi- Huberman, revisionné des séquences du Cuirassé Potemkine et de Nuit et Brouillard, j’ai trouvé que le cinéma servait le devoir de mémoire.

J’ai cherché à être dans la lumière, je n’ai trouvé qu’un éclairage d’appoint.

J’ai cherché à souligner le contour des choses, j’ai trouvé l’odeur de la chair brûlée.

J’ai cherché le mouvement continu de l’écriture, j’ai trouvé l’impact des nervures et des brisures.

J’ai cherché à prendre des trains pour les étoiles, j’ai visité Berlin, Rome et Tokyo, avec toi.

J’ai cherché à enrôler le hasard, j’ai trouvé un processus créatif.

J’ai cherché de nouvelles frontières à traverser, comme du vif-argent à l’intérieur des veines, j’ai croisé les forces de la nature, éprouvé un état de grande exaltation, comme une envie de boire l’océan glacé. J’ai vu les rayons lumineux de la fin d’été balayer de leurs dernières forces un sable extrêmement fin, extrêmement blanc. J’ai senti sa douceur sous mes pieds, j’ai trouvé le plaisir.